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 VERTE - Deuxième Partie : Chapitre 4

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MessageSujet: VERTE - Deuxième Partie : Chapitre 4   VERTE - Deuxième Partie : Chapitre 4 Icon_minitimeDim 18 Déc - 0:49

Ce qu'en disait Anastabotte (LA VOIX D'UNE GRAND-MERE)



Depuis quelques années, je descends de moins en moins m'isoler à la cave. Je n'ai plus besoin de travailler. Je reçois une retraite suffisante pour vivre et il faut vraiment que l'on me supplie pour que je me remette à faire des tours.
— La dernière fois que je suis venue, ai-je dit à haute voix, c'était pour donner un coup de main à Mme Arsène. La pauvre se disputait sans cesse avec son mari et ne trouvait plus aucun intérêt aux petits bonheurs de l'existence. Elle avait une mine affreuse et un caractère de plus en plus pénible.
— Qu'est-ce que tu lui as fait, à Mme Arsène? a demandé Verte avec une pointe d'inquiétude dans la voix.
— Un tas de choses. Des crèmes et des lotions pour la peau et les cheveux, une potion pour la digestion, une autre pour le moral, des abonnements d'un an à des magazines distrayants...
— Il n'y a pas un gramme de sorcellerie dans tout ça, a protesté Verte. C'est à la portée de n'importe quel pharmacien ou de n'importe quel libraire !
— Ksss, ksss, petite ignorante. Je suis mille fois plus mystérieuse et mille fois plus efficace que tous les pharmaciens et tous les libraires du monde. En prime, j'ai envoyé quelques sorts désopilants sur sa maison, si bien que sa vie est devenue pendant quelques semaines une suite ininterrompue de joyeuses surprises, musique brésilienne au réveil, envol d'oiseaux multicolores sous ses fenêtres, escorte d'admirateurs devant sa porte, frigo fournisseur de menus diététiques et tutti quanti. Au bout de trois semaines de ce régime, crois-moi, ce n'était plus la même. Elle avait rajeuni de quinze ans et elle s'était inscrite à un cours de danse africaine.
— C'est ça la sorcellerie? Je croyais que ça ne servait qu'à empoisonner le chien des voisins.
— Tu vois bien que tu n'y connais rien ! Je savais bien que tu te faisais des idées fausses.
— Pas si fausses que ça. Maman passe son temps à fabriquer des mixtures pour enquiquiner les voisins.
— C'est ce qu'elle veut bien te laisser voir. Qu'est-ce qui te dit qu'elle ne fait pas autre chose, hein? Et d'autre part, avec tout le respect que je dois à ta mère, je remarque qu'elle n'a pas une activité très intéressante, ni très variée. Elle n'est pas au meilleur de sa forme depuis quelques mois. Quelquefois je me dis que je devrais lui appliquer le traitement qui a si bien réussi à Mme Arsène.
Nous avons descendu les marches de pierre qui mènent à la cave. Autour de nous, dans la pénombre, se dessinaient les tables de travail surmontées par les étagères. Au centre de la pièce, suspendues au-dessus d'un petit feu ouvert, trônaient mes cornues.
— Veux-tu allumer? L'interrupteur est à côté du téléphone, sur ta droite en entrant.
L'ampoule a un peu grésillé mais elle a tenu bon. J'ai jeté un regard satisfait autour de moi. Mis à part un fin tapis de poussière poisseuse, mon atelier avait fort bonne allure. Je ne suis pas de celles qui laissent derrière elles un ignoble désordre et j'ai toujours pris bien soin de mon lieu de travail.
— Regarde comme tout est propre, ai-je dit à Verte. Je répétais toujours à ta mère que son atelier devait demeurer aussi net que le bureau d'une secrétaire.
— ... a répondu Verte.
Je me suis alors tournée vers elle et j'ai constaté qu'elle regardait mon bon vieil atelier avec des yeux exorbités.
— Qu'est-ce que c'est que ÇA? a-t-elle fini par demander d'un ton accusateur en tendant le doigt vers un mur.
— Eh bien, ce sont de petites chauves- souris. On les ouvre en deux et on les met à sécher pour les conserver. N'est-ce pas que c'est mignon, ces bestioles éventrées? On dirait de petits manteaux taillés pour des gnomes.
— Et ces trucs, là-bas, dans les bocaux posés sur l'étagère ?
— Hum, ce sont des mandragores dans du formol.
— Mais c'est dégueulasse, on dirait de monstrueux petits hommes avec des racines.
J'ai toussoté, un peu gênée.
— C'est un peu ça, les mandragores. Des êtres à moitié végétaux, à moitié autre chose. D'ailleurs, elles poussent des cris quand on les déterre. Rigolo, non? ai-je ajouté à mi-voix.
— Ignoble, a dit Verte. Ne m'en raconte pas plus, j'ai déjà envie de vomir.
Je n'avais pas l'intention de m'étendre plus longtemps sur les mandragores. C'est un sujet pénible. Les mandragores naturelles poussent au pied des gibets et des arbres aux branches desquelles se balancent des pendus. Pour quelqu'un qui n'est pas habitué, je conçois que c'est un peu révoltant. Pourtant il n'y a pas de quoi se monter la tête: on trouve aujourd'hui des mandragores de culture élevées sous serre en Hollande, et même des substituts synthétiques.
Mais ma petite-fille n'était pas d'humeur à écouter des arguments raisonnables. J'ai compris qu'il valait mieux que je me taise. Je me sentais de plus en plus piteuse. Je me demandais si cette visite d'atelier était vraiment une bonne idée.
Le regard de Verte allait des bocaux d'insectes aux bocaux de serpents. Il s'arrêtait par instants aux schémas de corps déformés affichés sur les murs. Il se heurtait aux griffes d'ours desséchées et aux pattes d'oiseaux suspendues par ordre de taille. Heureusement que j'avais abandonné mes élevages ! J'imagine sa tête à la vue des cages grouillantes de scorpions, de rats ou de scolopendres...
Parmi la rangée des boîtes de poudre (de plantes, d'os, de minéraux, d'organes), j'avisai une boîte de thé. Je pris la boîte d'une main et de l'autre j'attrapai une cornue pour y faire bouillir de l'eau.
— Une petite tasse de thé, ma chérie? ai- je proposé. Du Daijeeling?
— Jamais de la vie, a hurlé Verte.
Elle s'est assise lourdement sur un tabouret comme si ses jambes étaient soudain trop faibles pour la porter. Pauvre chérie, ses nerfs étaient en train de la lâcher.
— Mais enfin Mamie, comment peux-tu travailler dans un endroit aussi dégoûtant? Toi qui es si gentille.
J'adore que ma petite-fille me dise que je suis «si gentille». Quand je mourrai, quand je monterai au ciel pour rencontrer Dieu assis au milieu des justes, quand ils pèseront mon âme pour évaluer le poids de mes péchés, je leur rappellerai que, pour Verte, j'ai été «si gentille». Et je suis bien certaine qu'ils me jugeront avec modération. Je n'espère pas profiter d'un palace au paradis. Mais enfin, je me vois bien installée dans une loge modeste, à l'entrée du jardin d'Éden, dans les courants d'air.
— Mon gros bébé, ai-je souri benoîtement, je ne vois pas ce qui te choque tellement ici.
— Comment, tu ne vois pas? Mais regarde ! On dirait que tu as fait exprès de rassembler ici tout ce qui existe de plus répugnant et de plus morbide au monde. Qu'est-ce que tu peux faire avec ça?
— Un tas de tours formidables, crois-moi.
— Mais quoi de beau, quoi de bon, quoi d'heureux pour les gens ?
La pauvre gamine! Décidément, elle était bien jeune. Il fallait que je lui montre que les choses ne sont pas toujours aussi simples qu'elles paraissent. Et que de l'ombre peut naître la lumière.
— Tiens-toi tranquille cinq minutes sur ton tabouret. Et je vais te montrer ce qu'une bonne sorcière peut faire avec des horreurs séchées ou conservées dans un bocal. Ensuite seulement tu me jugeras. Je voulais faire séduisant, simple et spectaculaire. J'ai choisi le tour de l'ombre bleue.

 
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